Valorisation : que faire si vous n’êtes pas d’accord avec les investisseurs ?
10 LECONS POUR LEVER DES FONDS – LECON N°6
Vous êtes en phase de levée de fonds. Vous avez franchi toutes les étapes du process de sélection, l’instruction du projet est terminée, vous arrivez en phase de closing. Il ne reste plus qu’à finaliser le pacte d’actionnaires, procéder aux diverses formalités juridiques, fiscales et comptables exigées par la réglementation et vous allez enfin recevoir les fonds promis par les investisseurs, après plusieurs mois de recherches, de pitchs, de discussions,…
Mais vous buttez sur un obstacle : vous n’arrivez pas à vous mettre d’accord avec les investisseurs sur le montant de la valorisation. Vous êtes convaincu que votre startup vaut davantage que ce que vous proposent les fonds et les réseaux de business angels avec lesquels vous êtes en relation. Les discussions s’éternisent, vous pensez avoir utilisé tous les arguments, mais chacun campe sur ses positions.
La fixation du montant de la valorisation est toujours un sujet délicat.
Assurez-vous d’avoir bien compris quels facteurs les investisseurs prenaient en compte dans la valorisation de votre entreprise. Souvent les porteurs de projet ont tendance à surestimer la valeur de leur startup. Avez-vous été réaliste en demandant ce montant de valorisation ?
Essayez de rester flexible. Rappelez-vous que la valorisation n’est pas tout, ce n’est qu’un des aspects de la négociation avec les investisseurs. Il y a beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte, notamment les conditions de l’investissement. Celles-ci sont formalisées dans le pacte d’actionnaires.
Si vous restez campé sur vos positions et refusez d’accepter une valorisation moindre, vous risquez de dissuader les investisseurs.
Rappelez-vous également que pour les investisseurs, la qualité d’écoute et de dialogue d’un porteur de projet est fondamentale. Ils rentrent dans votre entreprise pour vous financer et aussi pour vous aider à développer votre entreprise. Si vous n’acceptez pas le dialogue, ils ne pourront pas vous aider. Et si dès le départ, alors même qu’ils n’ont pas encore investi dans votre entreprise, ils se rendent que vous ne voulez pas discuter, vous leur donnerez un très mauvais signal et vous les découragerez d’investir.
Les investisseurs s’attendent à ce que vous négociez. N’hésitez pas à le faire.
Plutôt que de rompre les relations et de devoir repartir à zéro avec d’autres investisseurs, sans certitude d’arriver à un accord plus favorable avec ces derniers, et avec le risque, à force d’attendre, de vous trouver dans une impasse de trésorerie, vous avez intérêt à trouver un terrain d’entente avec vos interlocuteurs.
La solution peut être d’inclure dans le pacte d’actionnaires une ou plusieurs clause(s) qui vous donnera (ont) des avantages à moyen ou long terme. Ces avantages contrebalanceront le fait que la valorisation d’entrée des investisseurs est plus faible que ce que vous espériez et permettront de rétablir un équilibre entre les intérêts de chacun.
Voici quelques exemples de clauses compensatoires, que vous pouvez proposer aux investisseurs en échange d’une valorisation moindre, et qui vous procureront des avantages à terme non négligeables.
Première possibilité : La clause de relution
La clause de relution est le mécanisme auquel on recourt le plus souvent en cas de désaccord sur le montant de la valorisation.
Par la clause de relution, les investisseurs garantissent que la part de capital du porteur de projet sera augmentée (reluée), s’il réussit à atteindre des objectifs d’activité et de rentabilité définis à l’avance. La date et la valeur de relution sont fixées à l’avance.
Si vous pensez que vous êtes en mesure d’atteindre des objectifs de croissance et de rentabilité ambitieux, vous pouvez avoir intérêt à inclure une clause de relution dans le pacte d’actionnaires.
Si vous réussissez à atteindre vos objectifs à l’échéance fixée, vous vous verrez alors attribuer :
- Soit des BSPCE (Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise), qui sont des sortes de « stocks options », dont sont susceptibles de bénéficier non seulement les fondateurs de la startup, mais aussi leurs salariés, et notamment les personnes considérées comme « hommes/femmes clés » de l’entreprise. Le prix d’achat des BSPCE à l’échéance prévue est en principe celui de la dernière augmentation de capital, si celle-ci est intervenue au cours des 6 derniers mois. S’il n’y a pas eu d’augmentation de capital au cours des 6 derniers mois, une valeur « de marché » est déterminée. Les BSPCE sont généralement attribués en fonction d’objectifs à atteindre à une date déterminée.
- Soit des BSA (Bons de Souscription d’Actions). Les bons de souscription d’actions fonctionnent de façon similaire. La principale différence est qu’ils ne sont pas réservés aux porteurs de projets et à leurs salariés, ils peuvent également bénéficier aux investisseurs. En principe, ils ne sont pas conditionnés à la réalisation d’objectifs déterminés.
D’autres mécanismes peuvent être mis en place, tels que l’attributions d’actions gratuites ou d’actions de préférence, qui donnent davantage de droit que les actions ordinaires (voir le § « Quatirème possibilité »).
Deuxième possibilité : L’obligation de réinvestissement
La startup doit généralement réaliser plusieurs levées de fonds avant d’arriver à dégager une rentabilité suffisante pour pouvoir s’autofinancer.
Il est important pour la startup que les investisseurs du premier tour, les investisseurs historiques, participent aussi à la levée de fonds suivante.
Le fait qu’un investisseur historique ne réinvestisse pas peut être perçu par les personnes extérieures comme un mauvais signal, leur faisant penser que la situation de la société est moins favorable qu’il n’y paraît, et compromettre l’entrée de nouveaux investisseurs au capital.
Une deuxième levée de fonds est par ailleurs toujours beaucoup plus difficile à réaliser que la première, ne serait-ce que parce que les investisseurs du premier tour arrivent au démarrage de l’activité en se basant sur des prévisions d’activité ambitieuses, alors qu’au deuxième tour les investisseurs ont connaissance des chiffres d’activité réels presque toujours inférieurs aux prévisions initiales.
Enfin, lors d’une première levée de fonds, les startups peuvent faire appel à des financements non dilutifs (prêts d’honneur, aides de la BPI,…) , qui complètent les fonds levés auprès des investisseurs et qui ne seront plus accessibles lors des levées de fonds suivantes, car vous les aurez déjà utilisés.
Obtenir des investisseurs qu’ils s’engagent à réinvestir lors d’un prochain tour de table est donc un très gros atout pour vous, car cette clause sécurise les besoins de financement futurs et renforce votre position dans l’entreprise.
Troisième possibilité : La sortie conjointe sur initiative des dirigeants
Différentes clauses de sortie conjointe sont habituellement insérées dans les pactes d’actionnaires. Ces clauses prévoient qu’en cas de cession d’actions par un associé de la société, les autres associés auront, soit le droit, soit l’obligation de vendre leurs actions.
L’une d’elle, la clause de « drag along » peut être intéressante pour le dirigeant. Cette clause de sortie conjointe permet aux actionnaires majoritaires d’obliger les autres actionnaires à sortir du capital en même temps qu’eux et à accepter une proposition d’acquisition de la société à des conditions déterminées (de prix, de date, …).
Cette clause permet d’éviter les situations de blocage en cas d’opposition des investisseurs minoritaires au rachat de la société. Le dirigeant peut ainsi plus facilement organiser la cession de la société comme il le souhaite.
Quatrième possibilité : Les actions de préférence sans droit de vote
Une autre solution consiste à accorder aux investisseurs des actions de préférence sans droit de vote.
Il existe toutes sortes d’actions de préférence. Ces actions peuvent être assorties de droits de toute nature, à titre temporaire ou permanent.
Elles confèrent aux actionnaires qui les détiennent des prérogatives spécifiques.
Accorder des actions de préférence sans droit de vote aux investisseurs est intéressant pour le dirigeant, car cela lui donne plus de poids dans les décisions et une plus grande liberté d’action dans la gestion de son entreprise.
Ce type d’actions peut aussi intéresser les investisseurs, qui en échange du droit de vote pourront obtenir des avantages comme par exemple un droit à des dividendes prioritaires, un superdividende, un droit d’information renforcé, un droit de représentation dans certains organes de la société,…
A noter que ces investisseurs sans droit de vote seront invités aux assemblées générales et auront accès aux mêmes informations que les autres actionnaires.
Cinquième possibilité : La clause de rétrocession de super plus-value
Les investisseurs en private equity prennent des parts de capital dans des startups dans le but de les céder au bout de quelques années ( 5 à 8 ans en général) en réalisant une plus-value à l’occasion de cette cession.
Toutes les startups ne performent pas et statistiquement, sur dix startups, il n’y en a qu’une ou deux qui permettent de réaliser une plus-value intéressante.
Les compétences, les qualités managériales, le travail réalisé par les porteurs de projet sont bien sûr déterminants dans la réussite de la startup et dans le fait que les investisseurs réalisent ou non une belle plus-value à la sortie.
Dans ces conditions, il paraît équitable de faire profiter les porteurs de projet de cette plus-value.
La clause de rétrocession de super plus-value consiste à allouer aux porteurs de projet une partie de la plus-value réalisée par les investisseurs, lorsque celle-ci dépasse un certain multiple. Dans la mesure où cette clause s’applique uniquement aux très grosses plus-values, elle est généralement bien acceptée par les investisseurs qui reconnaissent que ce dispositif est équitable.
Autres possibilités pour conserver le contrôle
Les clauses évoquées dans les paragraphes précédents sont celles qui reviennent le plus souvent dans les négociations entre porteurs de projets et investisseurs.
Il existe bien sûr d’autres possibilités et toutes les clauses du pacte d’actionnaires, qui tendent à limiter l’indépendance des porteurs de projet et leur poids dans les décisions de gestion, doivent être regardées de près.
Citons la clause de modification du pacte d’actionnaires. Dans la plupart des pactes d’actionnaires, cette clause prévoit que toute modification du pacte doit recueillir l’accord de l’ensemble des actionnaires.
Il arrive que lors de l’entrée d’un nouveau groupe d’investisseurs, un nouveau pacte d’actionnaires soit rédigé. Cette clause imposant l’accord de tous les actionnaires pour adopter le nouveau pacte peut provoquer un blocage et entraîner l’échec de la nouvelle levée de fonds.
Pour éviter cette situation, le porteur de projet peut avoir intérêt à proposer, dès la signature du pacte initial, que les modifications du pacte soient votées à une majorité déterminée, plutôt qu’à l’unanimité des actionnaires.
Citons également la clause de Comité Stratégique. Lorsqu’ils investissent, les business angels et les fonds d’investissement demandent la création d’un Comité Stratégique. Ce Comité Stratégique, auquel ils seront représentés, a vocation à se réunir de façon périodique et c’est notamment via ce comité, que les investisseurs accompagnent les dirigeants de l’entreprise.
Il est important de regarder de près les obligations incluses dans cette clause. Bien que les comités stratégiques de startups aient un rôle généralement consultatif et délibératif, et ne soient pas décisionnaires, le simple fait de devoir soumettre la moindre décision au comité stratégique avant de la concrétiser, peut se révéler bloquant pour la gestion de l’entreprise.
Il importe donc de regarder de près les seuils indiqués dans cette clause.
Il paraît normal que vous demandiez l’avis du Comité Stratégique lors que vous voulez recruter un Directeur Commercial. En revanche, si vous devez demander l’avis du Comité Stratégique à chaque fois que vous recrutez un stagiaire, cela risque d’être compliqué pour vous.
De la même façon, demander l’avis du Comité Stratégique avant de signer un emprunt de 100 000 euros paraît normal ; en revanche, si vous devez soumettre au Comité Stratégique toute décision de dépense dépassant 1 000 euros, cela risque d’être lourd à gérer.
D’une façon générale, réfléchissez à ce qui vous permettre d’avoir du poids dans les décisions et une facilité de gestion au jour le jour.
En négociant, vous pourrez obtenir des avantages à terme, qui se révèleront décisifs dans le développement de votre projet et contrebalanceront une moindre valorisation de votre startup.
Chantal Corbet
corbetassocies@gmail.com